Petit historique de la naissance du système bastionné

Comme nous l’avons vu dans la fiche ci-dessus, l’avènement du canon à boulet mécanique va entrainer une profonde mutation de la fortification des places. Les murs ne protègent plus, les mâchicoulis (successeurs des hourds en bois) sont facilement détruits. Les forteresses qui autrefois adoraient les hauteurs, doivent s’enterrer face à la puissance destructrice des canons.

Dans ce petit historique de la naissance du système bastionné, nous allons voir les différentes phases de cette mutation : la fin du château fort médiéval, la recherche de solutions d’urgence face à cette crise de la fortification et enfin, l’invention du système bastionné par les Italiens, plus d’un siècle avant la naissance de Vauban.

La fin du château fort

On ne connait pas bien les origines de la poudre noire et des armes à feu. Si la poudre était connue depuis longtemps par les Chinois (Xe siècle avant J.C.), qui l’utilisaient entre autre pour faire des feux d’artifice, ce n’est qu’au XIIIe siècle que les Occidentaux l’adaptent pour un usage militaire. Et au début, ces nouveaux armements ne changent pas grand chose à la guerre de siège. Les premières bombardes à projectiles de pierres sont moins efficaces que les armes de siège mécaniques, arrivées à un haut niveau de perfectionnement au fil des siècles.

Mais à la fin du XVe siècle, l’artillerie a fait des progrès considérables : le boulet de pierre est remplacé par un boulet de fonte, le tube n’est plus fabriqué en fer forgé mais en bronze, plus léger, et sa maniabilité est améliorée.

Reconstitution d’une couleuvrine du début du XVIe siècle : cette pièce d’artillerie a été développée sous Charles le Téméraire et a connu son apogée à la Renaissance.
Poids du projectile : 3,175kg – Portée : environ 150m – Cadence de tir : 1 coup toutes les 10 minutes.
Musée de l’artillerie de Draguignan.

Si vous souhaitez en savoir plus sur l’évolution de l’armement à cette époque, je vous emmène visiter le musée de l’artillerie de Draguignan sur le blog du b.a.-ba du patrimoine : Musée de l’artillerie de Draguignan

A partir de ce moment, l’artillerie est capable de superposer des coups au même endroit et donc de détruire efficacement les murailles, les mâchicoulis, les portes, etc. Tout le système de défense des châteaux forts est rendu obsolète.

La recherche de solutions

Les ingénieurs cherchent des solutions à la hâte pour répondre à la crise. Ils tentent d’adapter les fortifications existantes à la fois pour les renforcer et également pour y installer ces nouvelles armes dans des structures qui étaient inadaptées à les recevoir.

Quelques-unes des solutions apportées à ce moment-là :

  • le doublement des murailles avec de la terre, plus efficace pour contenir l’impact des boulets métalliques et peu onéreuse ;
  • la protection des éléments plus fragiles, par d’autres éléments avancés, placés devant. C’est le cas du boulevard, qui est un terre-plein placé devant les murailles pour les protéger. On y dispose aussi directement les pièces d’artillerie de la défense ;
  • l’introduction des nouvelles armes (comme les canons ou le mousquet) dans la défense des forteresses. On adapte les ouvertures (du type meurtrières) pour les armes à feu et on aménage également de nouveaux espaces sur lesquels disposer les pièces d’artillerie, comme par exemple sur les boulevards ou en construisant des tours d’artillerie, adaptées pour accueillir des pièces de gros calibre ;
  • des ouvrages sont parfois ajoutés dans les fossés pour la défense rapprochée mise à mal par la disparition des mâchicoulis.

Globalement, les ingénieurs recherchent plus que jamais le défilement pour protéger la place forte et le flanquement pour pallier la perte des mâchicoulis dans la défense rapprochée des murs. Tout cela préfigure déjà le futur système bastionné, avec son glacis et ses tours polygonales.

Pour revoir les notions de défilement et de flanquement : Les bases de la fortification

Une période de transition entre le château fort classique et la place forte bastionnée s’amorce, avec des remaniements de châteaux existants ou la créations de forteresses à mi-chemin entre les deux. Exemple ci-dessous avec la forteresse de Salses, construite en pleine transition : ses murailles sont dissimulées sous le niveau du sol, elle dispose déjà d’un glacis, d’un chemin couvert et de tours rondes destinées à l’artillerie.

Forteresse de Salses, construite par les Espagnols à la frontière avec la France, en 1503 (remaniée ensuite).

L’apparition du système bastionné

Le bastion, en tant que tour de forme polygonale, est apparu dans plusieurs pays d’Europe de façon indépendante. En effet, la recherche de solutions architecturales a souvent amené naturellement cette évolution. Car le tracé polygonal permet à la fois de limiter au maximum les angles morts mais également de présenter un éperon face à l’ennemi et non un mur, sensible aux coups de canon.

Mais les ingénieurs italiens mettent au point et documentent dans des traités une nouveauté qui va s’imposer partout en Europe : le système bastionné. Le procédé est simple mais révolutionnaire : ils résolvent les problèmes de flanquement en repensant le système défensif dans son entier.

Parmi les grands noms de la révolution du « tracé italien » (appelé « alla moderna » en Italie), on trouve des architectes qui ont travaillé en Vénétie (Pier Francesco da Viterbo et Michel Sanmicheli) et dans les états pontificaux (Antonio Sangallo). Ceux-ci réalisent les premiers fronts bastionnés à Vérone (lien en italien) à partir de 1527, puis à Zadar (lien en anglais) en Croatie.

Enceinte de la ville de Vérone du temps de sa domination par Venise, remaniée par l’architecte Michele Sanmicheli avec un tracé bastionné (à partir de 1527). © Andrea Bertozzi

Ils exporteront ensuite leur savoir-faire en France, en Espagne et aux Pays-Bas, qui amèneront à leur tour leurs propres améliorations aux principes de base.

C’est ainsi que Vauban (1633-1707), à la fois architecte et poliorcète de génie, devint un grand bâtisseur du système bastionné sous Louis XIV. Ayant participé à des attaques de places fortes bastionnées, il améliora les points faibles qu’il avait identifiés et exploités pour les vaincre.


Pour en savoir plus :
Places fortes, bastions du pouvoir, Nicolas Faucherre, éditions Rempart.
Ce petit livre est un très bon ouvrage de vulgarisation, écrit par un des plus grands spécialistes de la fortification. Mais comme tout ouvrage sur l’architecture militaire, il peut parfois être difficile à lire à cause du vocabulaire spécifique.
La genèse du système bastionné en Europe 1500-1550, études réunies par Nicolas Faucherre, Pieter Martens et Hugues Paucot, Cercle Historique de l’Arribère.
Si une connaissance plus poussée sur la naissance du système bastionné vous intéresse, ce livre est pour vous.
Comprendre Vauban, Florent Bonaventure, Canopé Editions.